samedi 16 juin 2007

Fosto



Le Figaro Littéraire, 10 octobre 2008
Les personnages de Faust et de Don Juan sont réexplorés régulièrement par la littérature et le théâtre parce qu'ils incarnent des mythes fondamentaux de la pensée occidentale. Tous deux se renvoient dans le miroir leur image de séducteurs qui ne reculent devant rien pour satisfaire un ego démesuré, suscitant des passions qu'ils ne méritent pas.
En préférant l'enfer au salut de leur âme, ils acceptent et valorisent une culpabilité latente: voué au péché originel, l'homme naît coupable et ne peut échapper ni à la faute
( la Faust ? ), ni au châtiment promis et mérité.
Et puisque les chances d'échapper à la damnation sont infimes, les conduites existentielles sont restreintes : il faut choisir entre transiger petitement avec le péché, ou au contraire appuyer sa vie sur les contre-valeurs du mensonge et de l'orgueil.
Les auteurs de Fosto ont choisi de traiter le drame Faustien sous la forme d'une comédie burlesque et grinçante, camouflant derrière le masque de la dérision la profondeur du sujet.
Présenté sous les traits d'un naïf à l'instant de signer le fameux pacte, Fosto est devenu quarante ans plus tard un artiste mégalomane auréolé d'une gloire dont il sait qu'elle n'est pas due qu'à son talent. Il a assumé sa tricherie jusqu'au dernier moment, mais on comprend qu'il a compté secrètement, après chaque salve d'applaudissements, les minutes qui le séparaient de la scène finale.
Pour ses adieux, il vient saluer une dernière fois, sans regrets ni remords, le seul public qui lui importe encore, composé pourtant de faux amis, d'une famille qui l'exploite et de valets dociles.
Enfin, il va pouvoir dire la vérité sur Fosto. Mais est-il enfin sincère ou continue t'il à mentir ?
Derrière la provocation et le cabotinage, son angoisse transparaît :"qu'est ce que je viens encore de signer ? ", question qu'il se pose à plusieurs reprises, en dit long sur sa réelle sérénité.
Ce qui sauve son personnage du total cynisme est qu'il veut partir en véritable artiste, échappant un instant à la malédiction par la mise en scène de sa propre disparition.
Pour mieux souligner sa démarche, il la double de l'artifice du " théâtre dans le théâtre", et laisse à ses domestiques le soin d'expliquer comment Fosto est né, se réservant celui de dire comment il va s’en aller. Tentative de justification ou ultime mortification ?
Mais sa référence évidente n'est pas Sinatra, ses amours et ses maffieux, mais bien Molière mourant sur la scène en interprétant sa propre pièce. Les allusions foisonnent : Don Juan, puis Tartuffe, autre menteur emblématique qui tarde à apparaître en scène, puis le Malade Imaginaire expliquant aux incrédules qu'il est gravement atteint. Quant aux saynètes du troisième acte, elles renvoient, bien sûr, au traitement salvateur infligé au Bourgeois Gentilhomme pour le guérir de sa prétention.
Une lecture philosophique de cette farce expliquerait sans doute que Fosto accomplit par le simulacre de sa mort un véritable chemin initiatique, qui doit permettre à sa vraie personnalité de renaître après avoir rencontré la souffrance du corps avec les médecins, la peur de la mort avec les croque-morts, la perte des biens matériels avec le notaire et celle de l'espérance même avec le prêtre.
Seule Marguerite, nullement dupe de serments dont il n'attend même pas qu'ils sonnent juste, réussit quelques instants à rompre le cercle dans lequel il s'est lui-même enfermé.
Mais, incorrigible orgueilleux poursuivi par son obsession de la punition, Fosto qui n'a finalement rien compris, n'échappera pas à son destin.
La fin de la pièce est-elle une ultime pirouette, une conclusion amère, ou le simple constat qu’on ne gagne jamais à narguer plus fort que soi ? C’est au spectateur qu’il appartient de jeter à Fosto la première pierre…


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