vendredi 29 juin 2007


UN ANNIVERSAIRE...


Je me suis réveillé ce jour-là et j'avais 40 ans.

Je ne me sentais pas très bien mais j'espérais que ma femme me souhaiterait un joyeux anniversaire.

À ma grande déception, elle ne m'a même pas dit bonjour.

Au petit-déjeuner, mes enfants ne m'ont pas parlé.

Au bureau, ma secrétaire m'a dit : " Joyeux anniversaire ! «

J'étais heureux, car au moins elle s'était souvenue de moi, mais à ma grande tristesse, mes collègues m'avaient oublié.

À midi, ma secrétaire m'a dit : " Pourquoi ne pas manger ensemble ?

J'ai dit que c'était la plus belle chose qu'on m'avait proposée ce jour.

Nous sommes partis prendre un verre et manger ensemble.

Sur le chemin du bureau, elle m'a dit : " Pourquoi retourner au boulot si tôt un tel jour ?" et me proposa de passer chez elle.

Arrivés chez elle, elle m'a offert un verre et m'a dit: " Ça ne te dérange pas que je me mette à l'aise ? "

J'ai répondu : " Quelle question ! "

et dans ma tête je me disais que ça pouvait être une expérience intéressante.

Elle est partie dans sa chambre et est revenue avec un énorme gâteau, suivie...

de ma femme, de mes enfants, de mon patron et de tous mes collègues…..

Et moi j'étais, comme un con, tout nu dans son salon... !

La grenouille


Une femme cherche un cadeau pour l'anniversaire de son mari.

Elle se dit : "Pourquoi pas un animal de compagnie ?"

Elle rentre dans une animalerie et tombe en arrêt devant une grenouille affichée à 10 000 euros !!!

Elle demande au vendeur ce que la grenouille a de spécial pour valoir ce prix.

Le vendeur répond :

- "C'est la Ranucula Phallus et elle fait les fellations comme une déesse".

La femme se dit que c'est vraiment original et qu'elle fera plaisir à son mari car elle n'aime pas trop faire ça..

Et hop, elle achète la grenouille emballée dans son bocal.

Le soir, elle l'offre à son mari, lui souhaite de passer un bon moment et va se coucher.

Elle s'endort et se réveille à 3 heures du matin. Son mari n'est plus devant la télé mais dans la cuisine, avec de la farine partout, des bocaux ouverts, la sauce tomate sur le tablier, un cassoulet qui mijote. Et tout cela sous les yeux grands ouverts de la grenouille !

La femme s'écrie :

- "Mais qu'est-ce que tu fais ???"

Le mari répond :

- "Je lui apprends à faire la cuisine, et après tu te CASSES !!!"

Steven Spielberg et moi...


Steven Spielberg rachète les droits d'exploitation cinématographique de l'oeuvre d'Yves Boucaud-Maître, "Le Royaume et les Ténèbres"
L'ouvrage référence de science-fiction fera l'objet de plusieurs adaptations cinématographiques
Yves Boucaud-Maître pouvait se réjouir à l'issue de l'audience de mise aux enchères organisée exceptionnellement à l'Hôtel Crillon, à Paris. Les droits d'adaptation cinématographique de son premier opus, "Le Royaume et les Ténèbres", venaient d'être acquis par Steven Spielberg.
Cette oeuvre sombre, profonde, dotée d'un humour noir, devrait voir chacune de ses nouvelles portée sur grand écran par le réalisateur américain.
"Je ne pouvais pas me permettre de laisser passer une telle opportunité, confiait l'heureux gagnant à l'issue des enchères. Le Royaume et les Ténèbres constitue une oeuvre majeure de la littérature fantastique, à la mesure des Histoires Extraordinaires d'Edgar Allan Poe. Je suis extrêmement enthousiaste à l'idée de débuter le tournage de ces histoires".
Il faut dire que l'ouvrage d'Yves Boucaud-Maître a fait l'objet d'un engouement sans précédent pour un auteur fantastique depuis Bernard Werber.
Composé de vingt-deux nouvelles, dont les thèmes correspondent à la signification divinatoire des vingt-deux Arcanes majeurs du jeu des Tarots de Marseille, le Royaume et les Ténèbres s'est tout d'abord fait connaître en accumulant les récompenses prestigieuses. Dès 2003, année de sa parution, "Perpette", l'Arcane n°20 du recueil, s'est vue primée au concours "Evasion à toute culture". En 2005, lors de la 32ème convention française de Science Fiction, le "le Roi des Abeilles" (Tome 2 du Royaume et des Ténèbres) recevait le Prix Infini.
Puis, en 2007, c'est l'explosion: grâce à l'excellent blog dédié à l'auteur, et créé par ses fils (http://yo-lartiste.blogspot.com), les internautes se bousculent pour lire les vingt-deux nouvelles mises en ligne semaine après semaine, et tentent de résoudre chacune des énigmes posées, dont seuls les derniers mots donnent la solution. Le site enregistre ainsi le plus fort taux de visite des blogs du domaine blogspot, tandis que les deux tomes du Royaume s'arrachent sur amazon.fr et sur priceminister.fr.
Déjà, l'adaptation au cinéma fait l'objet de toutes les convoitises et de tous les fantasmes.
Pour incarner Jack, le héros de "Perpette", première nouvelle transcrite sur grand écran, Steven Spielberg aurait déjà reçu de nombreuses candidatures spontanées. Alain Delon en particulier aurait contacté le cinéaste dès l'acquisition des droits d'exploitation, afin de lui faire part de sa motivation pour jouer un rôle "enfin à (sa) mesure". "Je n'imagine pas que Jack, ce héros dramatique, passionné et torturé, puisse adopter d'autres traits que les miens. J'ai attendu toute ma vie un script de cette qualité, et hormis moi-même ou ... Yves Boucaud-Maître lui-même, je ne vois pas qui pourrait en être digne", nous confiait-il à sa sortie de l'hôtel Crillon.

jeudi 28 juin 2007

Anniversaire de mariage en .....


Au travail...

10 % des femmes ont deja fait l'amour dans l'heure qui a suivi la première rencontre.

20 % des hommes ont déjà fait l'amour dans un lieu insolite.

36 % des femmes sont plutot favorables au naturisme.

45 % des femmes preferent les hommes bruns aux yeux bleus.

46 % des femmes pratiquent la sodomie.

70 % des femmes preferent faire l'amour le matin.

80 % des hommes n'ont jamais eu de relation homosexuelle.

90% des femmes aimeraient faire l'amour en forêt.

99 % des femmes n'ont jamais fait l'amour au bureau.

CONCLUSION:

Statistiquement, il est plus probable que vous sodomisiez une inconnue en foret de bon matin que de faire l'amour au bureau en fin de journée.

MORALITE:

NE RESTEZ PAS SI TARD AU BUREAU, CA NE SERT A RIEN !!!

La castafiore

La Princesse de Yo est née Lady Agnès Paulet le 5 janvier 1951 au Chambon Feugerolles, près de Saint-Etienne. Elle est la fille cadette de la Vicomtesse et du Vicomte Paulet. Ses parents lui enseignèrent la bonté et le don de soi, ainsi que l'art de trouver un bon mari (pharmacien, bijoutier ou avocat). Pourtant, le plus chanceux des deux n'est pas celui que l'on croit... Lady Agnès Boucaud est unique et généreuse.

Le scandale se produit en octobre 1997, lorsque Lady Agnès ose se mettre sur le devant de la scène et voler la vedette à son mari vexé lors de la 1ère représentation de Sweet Emma. Séduit par son talent et sa présence charismatique, Lady Agnès est transférée contre une indemnité non dévoilée à la chorale de Chantefable. Depuis, les plus grands se l'arrachent et les propositions se multiplient...


Blues de la nuit ... paroles



Blues, blues dans la nuit,
blues qui nous grise, blues qui nous suit
La lune éclaire la mer, le fond des golfes clairs
Dans la douceur l’odeur du romarin c’est très doux on est bien
Blues, blues dans la nuit, blues qui nous grise, blues qui nous suit
Blues c'est fou, musique qui parle à mon ame c'est si doux



MG, lunettes, foulard

Dans la douceur du soir

Au festival d’Antibes

Trompette en MIB … émol

La lune couleur d’ivoire

La mer comme un miroir

On se sent comme des stars

Dans un film de Godard


Blues, blues dans la nuit,
blues qui nous grise, blues qui nous suit
La lune éclaire la mer, le fond des golfes clairs
Dans la douceur l’odeur du romarin c’est très doux on est bien
Blues, blues dans la nuit, blues qui nous grise, blues qui nous suit
Blues c'est fou, musique qui parle à mon ame c'est si doux



La nuit le jazz c’est beau

J’ai des frissons dans l’dos

Un air de Miles Davis

Feu d’artifice

J’aimerai qu’on arrive pas

Qu’l’été n’en finisse pas

C’est la dolce vita

D’être avec toi





mercredi 20 juin 2007

La tournée des FBB

Les places se sont arrachées (parfois même aux enchères) lors de la dernière tournée qui a eu lieu à :

  • Festival international de jazz de Montréal, Canada : le 25/04/2007
  • Festival de Woodstock, EU : le 28/04/2007
  • Carnegie Hall de New-York, EU : le 31/05/2007
  • MGM Las Vegas, EU : le 02/06/2007
  • Maracana, Rio de Janeiro, Brésil : le 05/06/07
  • L'Olympia, Paris, France : le 07/06/07
  • L'allée des Bleuets, Sainte-Foy-lès-Lyon, France : le 09/06/07


mardi 19 juin 2007

La consécration


Critique Le Monde du 28/06/2007 :
Les Five B Blues font un retour fracassant dans le paysage musical français en signant leur second album intitulé « Blue de la nuit ». La chanson éponyme de l’album, « Blues de la nuit » rentre directement en tête du classement des meilleures ventes et devrait logiquement se voir récompenser aux prochaines victoires de la musique.Les Five B Blues s’étaient montrés plutôt discrets ces dernières années en n’enregistrant qu’un seul album il y a une dizaine d’années qui avait pourtant rencontré un franc succès auprès de la presse spécialisée grâce au bouche à oreille d’un public connaisseur. Délaissant les mondanités de la vie publique, le groupe se produisait dans de petites salles toujours combles qui reprenaient en cœur les succès du premier album. Le groupe a évolué depuis et s’est renforcé grâce à la présence de deux poids lourds de la scène rock, Jean-Pierre Paquet et Nath, dont les similitudes avec David Gilmour sont évidentes.Toujours articulé autour de Yves Boucaud, dont la voix et le charisme électrise les foules, l’album se veut plus folk que le premier, ce qui ne déplaira pas à son public toujours plus jeune. On apprécie d'autant plus le doigté de Jean-Marie Doucet au piano, dont les performances n’auraient pas déplu à un Jim Morrison assagi, et du métronome « Ringo Star » Jean-Yves Tavernier à la batterie. Le groupe se produit actuellement dans toute la France, le road trip à Lille effectué l’an dernier ayant redonné le goût de la scène au groupe, ainsi que dans des ambiances plus intimistes comme le 09 juin à "l'allée des Bleuets", ou le concert improvisé unplugged reste dans toutes les mémoires des privilégiés ayant eu l’honneur d’y être. Dans une salle survoltée, la reprise reggae de « Don’t let me be Miss Understood » avait médusé les spectateurs qui pourront dire dans vingt ans « J’y étais ». On attend maintenant le disque de la maturité, prévu l’an prochain, avec peut-être la participation de Franck Boucaud en guest-star, qui devrait propulser le groupe vers les sommets…

Fabuleux Five B Blues















Critique des Inrockuptibles du 14/07/1995:
Un vent de fraîcheur souffle sur le Blues avec le premier album des Five B Blues, un quintet de musiciens d’origine lyonnaise qui signe ici un magnifique album qui fera date. Le groupe, formé à l’origine par Yves Boucaud et Jean-Marie Doucet, respire le blues du Mississipi et reprend quelques standards pimentés à leur sauce ainsi que des compositions savamment orchestrées. Plus qu’une découverte, une révélation. On attendra leur prochain album avec impatience….

Mes chefs d'oeuvre...




Paysages...





Fruits et fleurs....



Toutes mes oeuvres sont à vendre pour 1000 euros...

Femmes...



samedi 16 juin 2007

Critique Figaro "La cage aux phoques"







Au fil du temps, l’œuvre des Gabinets acquiert une consistance et surtout une lisibilité prouvant que les auteurs suivent un dessein qui se dévoile par touches successives, jusqu’à ce que la cohérence ne devienne, en fin de compte, évidence.
Après « Miss Lulu », critique de l’hypocrisie sociale vis-à-vis du sexe, puis « Fosto », héros tourmenté confronté au mensonge de son existence, voici « La Cage aux phoques ». Le thème del’île déserte si chère à la mythologie occidentale, depuis Robinson jusqu’au marins du Bounty, trouve ici un développement nouveau et inattendu.
Car sous ce titre dérisoire destiné à détourner l’attention du spectateur jusqu’au lever de rideau se dissimule un sujet qu’il faut aborder selon plusieurs niveaux de lecture.
La dimension sociologique est la plus facilement appréhendable : cette microsociété constituée d’individus rapprochés par le seul hasard se restructure en définissant ses propres règles morales : respect des hiérarchies prédéfinies, non-agression entre les membres de la tribu, rejet de l’étranger sous couvert d’accueil et cérémonies barbares scellant le pacte de sang qui unit les naufragés. Jusqu’au fameux guano qui est censé les soigner, mais qui les délivre de l’agressivité sexuelle et qui donne sans doute mauvais goût à leur propre chair pour éviter qu’ils ne retournent contre eux leur violence. jhfgjtrgfhu$ytopjhytj$hop
Dimension philosophe, car dans cet univers clos, ce « huis clos » au sens sartrien du terme, l’enfer, c’est bien sûr les autres, sous le regard lesquels il faut exister, sans possibilité d’isolement et surtout sans espoir de retour. Car ils savent qu’une évasion les conduirait à affronter leur propre culpabilité vis à vis du monde dont ils se sont exclus par leur faute impardonnable, et qui les jugerait sans faiblesse s’ils tentaient d’y revenir.
Dimension psychanalytique enfin, puisqu’ils refoulent dans leur inconscient la honte d’avoir violé un interdit majeur, mais aussi le poids des frustrations inhérentes à chaque personnage : depuis le commandant, qui a jeté le bateau sur le récif, à la gouvernante incapable d’éduquer les enfants qui lui ont été confiés, jusqu’à la cuisinière obligé de renier ses principes gastronomiques, etc. Et le guano, symbole de leur régression au stade anal, souligne leur incapacité à s’assumer en tant qu’adultes responsables de leurs actes, à échapper à cette condition quasi-animale de prédateur victimisé, obsédé par une espèce devenue à la fois sujet et objet, en quelque sorte « loup-phoque » au regard de l’analyste.

Le véritable sens de l’histoire est que les phoques ne sont ni les navigateurs solitaires ni ceux qui les regardent, mais les naufragés eux-mêmes, colonie animale retranchée du monde, dans un univers hostile où le combat pour la vie doit épargner ceux qui sont contraints d’y survivre. Ce sont eux et eux seuls qui sont prisonniers de la Cage qu’ils ont construite et dont ils ne peuvent s’évader.
La condition humaine est-elle si fragile pour que des humains choisissent – mais ont-ils été réellement libres de le faire ? – d’y renoncer pour sauver leurs existences, telle est la leçon que les auteurs de la « Cage aux phoques » nous invitent à méditer.
Il faut absolument voir cette pièce qui ne cessera sans doute de hanter nos consciences, même si l’on en on sort avec un sentiment d’amertume et de doute existentiel.

Critique Télérama de "la cage aux phoques"


Jusqu’à quand les « Gabinets », une prétendue troupe théâtrale au nom ridicule, va-t-elle continuer à produire de navrantes comédies « musicales » qui sont une atteinte non seulement au bon goût, mais aussi à l’idée qu’on peut se faire de l’art dramatique ?
Leur dernier chef d’œuvre, dénommée spirituellement la « Cage aux phoques », est peuplée de calembours approximatifs et de plaisanteries homophobes qu’ils qualifient sans doute d’humour, mais qui ne parviendraient pas à arracher un sourire au plus tolérant des spectateurs.
Ce serait leur faire trop d’honneur que de dévoiler le sujet de l’intrigue, plus apte à susciter la répulsion que la sympathie, et qui n’est qu’une nième variation sur le thème du naufrage. Comédie de boulevard ? Même pas. Ou alors à peine au niveau du trottoir.
Une musique bruyante et répétitive et des ballets qui auraient leur place dans un lieu d’aisance auraient au moins l’avantage de suspendre de temps à autre ce flot d’insanités, si les auteurs n’avaient cru bon de truffer leurs rengaines de propos sexistes ou même carrément scatologiques.
Qu’on ait l’esprit potache à quinze ans et l’esprit carabin à vingt peut se comprendre, mais l’âge moyen des acteurs interdit l’indulgence complice qu’ils voudraient sans doute nous voir manifester.
Si vous souhaitez échapper à ce genre de pantalonnade, allez plutôt voir cette semaine au Théâtre Thermidor la superbe pièce de Schloldorfenberg « Vas-tu à la pêche ? » écrite pour deux personnages : dans un décor volontairement dépouillé – une chaise et un bocal de poissons rouges-, deux personnages dont l’un est mal-entendant et l’autre aphasique, échangent des répliques rares mais pleines de dramatiques fulgurances.
Des grincements de porte et des bruits de rue ponctuent le déroulement de l’œuvre, sévère et pourtant d’une étrange gaîté, qui nous promène avec une invention audacieuse dans un univers improbable où l’on ne sait plus si les délires fétichistes sont rêvés ou réellement assumés. Le spectateur s’égare cette sarabande de silences signifiants pour mieux se retrouver sur la poignante réplique du malentendant « Ah, je croyais que tu allais à la pêche !». Cette incertitude laisse au public un territoire imaginaire où il peut se choquer, voguer. Ailleurs et vite. Avec une délicieuse liberté.
Ce spectacle de haute tenue n’aurait pu cependant voir le jour sans le soutien financier du Conseil Général des Hauts de Seine, du Ministère de la Marine, de la Fondation Groutchevski, de la MJC des Minguettes, ainsi que de la ligue contre la maladie de
Schnozer. On ne dira jamais assez que ce théâtre alternatif témoigne d’une politique inventive, reflétant l’exception culturelle française, même si le public est parfois réticent à accepter des innovations qui lui permettent pourtant d’accéder à des concepts autrement plus dérangeants que les pitreries dont nous avons (trop) parlé.

Fosto



Le Figaro Littéraire, 10 octobre 2008
Les personnages de Faust et de Don Juan sont réexplorés régulièrement par la littérature et le théâtre parce qu'ils incarnent des mythes fondamentaux de la pensée occidentale. Tous deux se renvoient dans le miroir leur image de séducteurs qui ne reculent devant rien pour satisfaire un ego démesuré, suscitant des passions qu'ils ne méritent pas.
En préférant l'enfer au salut de leur âme, ils acceptent et valorisent une culpabilité latente: voué au péché originel, l'homme naît coupable et ne peut échapper ni à la faute
( la Faust ? ), ni au châtiment promis et mérité.
Et puisque les chances d'échapper à la damnation sont infimes, les conduites existentielles sont restreintes : il faut choisir entre transiger petitement avec le péché, ou au contraire appuyer sa vie sur les contre-valeurs du mensonge et de l'orgueil.
Les auteurs de Fosto ont choisi de traiter le drame Faustien sous la forme d'une comédie burlesque et grinçante, camouflant derrière le masque de la dérision la profondeur du sujet.
Présenté sous les traits d'un naïf à l'instant de signer le fameux pacte, Fosto est devenu quarante ans plus tard un artiste mégalomane auréolé d'une gloire dont il sait qu'elle n'est pas due qu'à son talent. Il a assumé sa tricherie jusqu'au dernier moment, mais on comprend qu'il a compté secrètement, après chaque salve d'applaudissements, les minutes qui le séparaient de la scène finale.
Pour ses adieux, il vient saluer une dernière fois, sans regrets ni remords, le seul public qui lui importe encore, composé pourtant de faux amis, d'une famille qui l'exploite et de valets dociles.
Enfin, il va pouvoir dire la vérité sur Fosto. Mais est-il enfin sincère ou continue t'il à mentir ?
Derrière la provocation et le cabotinage, son angoisse transparaît :"qu'est ce que je viens encore de signer ? ", question qu'il se pose à plusieurs reprises, en dit long sur sa réelle sérénité.
Ce qui sauve son personnage du total cynisme est qu'il veut partir en véritable artiste, échappant un instant à la malédiction par la mise en scène de sa propre disparition.
Pour mieux souligner sa démarche, il la double de l'artifice du " théâtre dans le théâtre", et laisse à ses domestiques le soin d'expliquer comment Fosto est né, se réservant celui de dire comment il va s’en aller. Tentative de justification ou ultime mortification ?
Mais sa référence évidente n'est pas Sinatra, ses amours et ses maffieux, mais bien Molière mourant sur la scène en interprétant sa propre pièce. Les allusions foisonnent : Don Juan, puis Tartuffe, autre menteur emblématique qui tarde à apparaître en scène, puis le Malade Imaginaire expliquant aux incrédules qu'il est gravement atteint. Quant aux saynètes du troisième acte, elles renvoient, bien sûr, au traitement salvateur infligé au Bourgeois Gentilhomme pour le guérir de sa prétention.
Une lecture philosophique de cette farce expliquerait sans doute que Fosto accomplit par le simulacre de sa mort un véritable chemin initiatique, qui doit permettre à sa vraie personnalité de renaître après avoir rencontré la souffrance du corps avec les médecins, la peur de la mort avec les croque-morts, la perte des biens matériels avec le notaire et celle de l'espérance même avec le prêtre.
Seule Marguerite, nullement dupe de serments dont il n'attend même pas qu'ils sonnent juste, réussit quelques instants à rompre le cercle dans lequel il s'est lui-même enfermé.
Mais, incorrigible orgueilleux poursuivi par son obsession de la punition, Fosto qui n'a finalement rien compris, n'échappera pas à son destin.
La fin de la pièce est-elle une ultime pirouette, une conclusion amère, ou le simple constat qu’on ne gagne jamais à narguer plus fort que soi ? C’est au spectateur qu’il appartient de jeter à Fosto la première pierre…


Oedipe

Je le hais.
Ma haine est née à ma première parole et ne finira qu'avec ma dernière pensée, pour tout ce qu'il a fait de moi, pour tout ce qu'il m'a forcé à apprendre, autrement dit pour tout parce qu'il m'a tout appris, et que c'est justement pour cela que je le hais.

Le nom des fleurs et celui des étoiles, le décompte des arbres de la forêt, la force du vent quand il soulève des flétris de feuilles affolées, toutes ces choses pourtant, j'aurais aimé qu'il me les enseigne, mais jamais il ne m'en a parlé.
Ce que je sais de lui et par lui, c'est le vertige des courbes tendant vers l'infini, les méandres du calcul intégral, les asymptotes et les hyperboles, les matrices et les ensembles, et les nombres réels ou imaginaires écartelés dans des espaces à cinq dimensions parmi les masses anéanties par la vitesse de la lumière. Je sais aussi les noms des particules impalpables qui vivent une fraction de seconde dans les cœurs brûlants des réacteurs avant de se déchiqueter dans le néant, quarks, mésons, bosons, gluons, litanie de l'invisible, cortège de fantômes inventés par les prêtres obscurs de la physique quantique.

De ce monde dans lequel il m'a fait pénétrer de force, rien n'est vrai, tout est symbole, abstraction, calculs et mise en équation du hasard, alors qu'au dehors s'allonge le ruban beige de la route, sous le couvert des bosquets croulants de fruits sauvages, dans les odeurs confuses de l'été.
Je n'ai rien voulu de tout cela, c'est lui qui toujours a voulu pour moi, depuis l’enfance qu'il m'a volée jusqu'à ce jour qui devrait être comme tous les autres, où je devrais apprendre encore, devant les pages blanches et les écrans gris, moi si avide de l'autre coté des choses, celui où la vie coule librement entre les doigts comme l'eau fraîche des rivières.
Aujourd'hui, il me faudrait encore comprendre le pourquoi, moi qu'un "parce que" aurait satisfait. Parce que c'est comme ça, voila tout. Mais non. Il va m'expliquer que c'est parce que sinus, parce que logarithme, parce que, parce que, démonstrations sans faille étayées par des formules interminables que je répèterai jusqu'à l'écœurement, jusqu'à bannir l'ombre de l'erreur et de l'oubli.
Et si j'oublie quand même, il me privera encore une fois de liberté, il m'enfermera le dimanche dans cette pièce dont la fenêtre étroite donne sur le toit, n'offrant au regard que la couleur des cieux, et les nuages, les merveilleux nuages qui défilent en troupeaux innombrables. Jusqu'à ce que je sache ce que j'aurais dû savoir, que je sois redevenu le meilleur, celui qui sait quand les autres ne savent plus, au mépris de ma force qui s'en va toute seule, serrée dans le fil monotone des jours et des ans.

Mais moi, je n'en peux plus. Je veux voir la vie qu'il fait lorsqu'on tient une fille dans ses bras et qu'on l'inonde de ses mots d'amour, connaître d'autres inconnues que celles des équations, courir comme volent les oiseaux loin de la terre, faire couler dans mes veines les liqueurs qui dissolvent la pesanteur du corps, avoir froid et aimer la froidure, être las et chérir ma fatigue, ne plus rien voir de cette ville dont je ne supporte que les marronniers qui secouent leurs feuilles mortes sur les trottoirs mouillés.
Un jour pourtant, j'ai essayé. J'ai fait dériver mes intégrales vers l'infini, j'ai divisé par Log et par zéro, mes sinusoïdes sont venues s'écraser sur l'abscisse au lieu d'atteindre leur plateau, et j'ai cru avoir gagné car il n'a rien dit, comme si tout ce que j'avais voulu rendre faux n'était rien qu'une poussière insignifiante dans la froide mécanique de la pensée .
Mais il m'a laissé dans la chambre pendant des semaines, jusqu'à ce qu'en pleurant de rage, j'accepte de reprendre mes exponentielles là où j'avais voulu les abandonner.
Et des jours encore ont succédé aux jours, mais quelque part, au fond de moi, en un territoire inconnu occulté depuis ma naissance, quelque chose avait changé, comme une ombre que l'on devine malgré les épaisseurs des ténèbres, et dont on suit longtemps la trace impalpable sans en discerner la matérialité.


*******


Ai-je dit qu'il savait tout ? C'est faux, il ne sait rien de moi, sinon un peu d'écume à ma surface, alors qu'au cœur de ma vague roule en grondant le flot secret de ma passion.
Car depuis ma première parole jusqu'à ma dernière pensée, je ne vis que pour elle, elle qui aime voir l'eau des torrents nous faire trébucher dans ses remous en riant de bonheur, elle qui mêle l’harmonie de son visage et sa couronne de cheveux sombres à mes boucles blondes et arrête les pleurs au bord de mes paupières lorsque vient l'heure de nous quitter déjà, elle enfin vers qui crie mon corps lorsqu’avec dégoût, je m'épands dans ma main au fond de mes nuits solitaires.

Mais que viennent sa voix, son souffle, son regard aux si longs cils et mon âme enchantée retrouve son chemin, étonnée du calme indicible et de la lumière qui baigne le monde quand, ma joue collée contre la sienne, je m'abandonne en elle en la voyant si mienne. Car c'est vers elle que coule ma vie, même si une part de moi prétend qu'elle n'est qu'un objet mental inventé par mon désespoir, mais ce n'est pas vrai, car je sais que demain, je me loverai dans ses bras et fondrai sous sa caresse, je la verrai légère et vive, et nous irons nous offrir éperdus au vent mauvais de l'automne.

Qu’elle parle de lui, et j'arrête aussitôt ses mots d'un doigt posé sur ses lèvres, car ce n'est pas elle qui n'existe pas, c'est lui. Seulement lui qui n'est pas plus qu'une machine à apprendre, et que je hais alors que je suis né pour partager l’amour et non la haine. [1]
D'autres que moi, j'en ai croisé parfois, avec un père qui les regarde quand ils se roulent dans l'herbe et ramènent chez eux des paniers de grenouilles et de baies des bois, et dans leurs yeux passent une lumière que j'ai vainement cherchée dans mon miroir, seul dans la maison, pendant le peu qu'il me consent avant de reprendre le travail.
Comme je voudrais qu’il me dise de temps en temps des mots qui ne seraient faits que pour moi, des mots pour rien, des mots qui n'auraient pas de sens, pas de logique, juste des mots qui vivent comme on chante quand on a peur dans le noir. Alors je crois que je pourrais l'aimer un peu, juste assez pour supporter ses leçons, et ne plus étouffer de colère en voyant se lever chaque soleil dont il me prive.

Pourtant, il s'est passé quelque chose entre nous, un soir de cet hiver, alors que je butais sur un mur de différentielles opaques et arachnéennes. Ce soir là, mes doigts ont quitté le clavier, mes yeux se sont détournés de mes livres, et je l'ai regardé en lui disant que j'allais le tuer.
Un instant, j'ai senti que quelque chose frémissait en lui, le temps d'un vertige, mais il n'a rien dit, pas plus que les autres fois, comme si ma parole était dépourvue de sens, comme si ce que je venais de dire n'existait pas. Puis le cours a repris, et s'est achevé quand j’ai simplifié les derniers signes de l'équation, mais lorsque s'est refermé ce bref halo de silence, j'étais devenu dur comme du métal rougi trempé dans la neige, et depuis lors, cette pensée ne m’ a plus quitté.

J'ai tout essayé depuis, je le jure, j'ai lutté, j'ai fait claquer ma volonté contre la sienne, mais plus rien n'a pu faire vibrer en lui la moindre corde, ni passion, ni colère, ni tendresse, rien, rien.
Mais ce que je lis maintenant sur mon visage, ce n'est plus le regret, ni la tristesse, c'est la brillance aveuglante d'une lame affûtée, la colère en fusion, le rouge écarlate de la haine totale, l'inextinguible soif du meurtre et l’envie de voir régner la justice. Car j’appelle juste celui qui peut rêver son rêve et injuste celui qui le réveille à l’instant de l’extase, et le juste à la joie quand vient le jugement et que l’injuste tremble [2] .


Longtemps j'ai cherché le moyen d’en finir, j’ai même envisagé de détruire sa vie avec la mienne, avant d’arrêter enfin mon choix sur ce geste brutal. Avant de découvrir derrière l’établi cet objet oublié, ce marteau d'acier dont je polis le manche de mes caresses. Il y a des semaines que je m'entraîne à le faire tournoyer plus haut que ma tête, pour qu'il devienne prolongement de mon bras, membre terrible endurci par l'exercice, instrument obligé de son supplice. Et moi qui fut si faible, me voici maintenant habile à le brandir si vite que son éclat n'a pas le temps d'apparaître, et prompt à l'abattre sans trembler sur les corps froids des objets, substituts inertes de son être que j'écraserai jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien de reconnaissable. .
Mille fois, j'ai répété la scène, imaginé les contretemps et les impondérables, entre l’ultime seconde et l'accomplissement du geste, et voilà, je suis prêt, je suis prêt.
Ma haine me porte comme un flot, mon pouls affolé bat sans trêve le sang de mes artères, et j'écoute en silence, comme un tambour de guerre, la vibration profonde de sa musique barbare.

Cette nuit, alors je reposais dans mon lit, les vibrantes clartés des étoiles me parvenaient par le soupirail entrouvert, simples étoiles de la nuit, sans les quasars, les pulsars, les trous noirs et les naines blanches. Je n’ai pas dormi, et au long des heures qui tombaient comme des gouttes d’eau, je les ai vu apparaître, passer au-dessus de moi et s'en aller sans hâte, tandis que je rêvais à l'infini des mondes possibles.

L'aube s’est annoncée dans l'odeur de la brise, et j’ai guetté l'apparition de l'œil rouge de l'astre, qui se levait sur le premier matin de ma vie.. Dès que tout sera fini, j'irai la chercher, puis nous partirons jusqu'aux extrémités de la terre, face aux fracas de la mer et aux silences des cimes, et on ne nous retrouvera jamais. Je me viderai la tête de tout ce que je sais, je n'apprendrai plus rien de ce qui n'est pas elle, et le temps nous verra rouler l'un contre l'autre dans une intense et éternelle étreinte.

Voici le jour enfin, ce jour si différent des autres. Fatigué de ma veille, je m'essaye à marcher, lever les bras, et faire bouger mes muscles comme un athlète avant l'épreuve. Mon corps me répond qu'il est là, qu'il saura faire le geste tant de fois répété. Mais il tremble pourtant, qu' a t'il donc ? ne lui ai- je pas donné assez pour supporter les derniers instants qui nous séparent, lui et moi, de notre libération ?
Ma gorge est nouée par la peur. L'arme est là, devant mes yeux, je la contemple sans oser encore la saisir.
Se peut-il qu’elle suffise à faire mourir mon ennemi, moi qui crois encore en sa toute puissance ?

Comme les choses sont simples lorsque l'angoisse se retire comme la marée basse, flot empoisonné, bête affreuse logée depuis toujours au fond de mon être.
Je quitte ma chambre, je prends le chemin qui me conduit vers lui, comptant mes pas pour ne plus penser à que ce que je vais accomplir. L'objet pesant caché sous mes vêtements, j'approche du lieu où il m'attend. Mon cœur est en chamade, mes doigts sont gourds, mon corps défaille, je ne pourrai pas.
La porte s'ouvre, je pénètre dans la salle de cours, comme tous les jours.

Je le regarde et me dis qu'il sait, qu'il doit savoir, comment en serait-il autrement puisqu'il sait tant, puisqu'il sait tout. Et pourtant je ne l'ai dit qu'à moi-même, noir dessein chuchoté dans ma tête pour ne pas qu’il m’entende. J'ai peur, j'ai peur, et je sens déjà sa volonté peser sur la mienne, me serrer comme un garrot.
Vite, vite, réveiller ma haine et l'attiser de mon souffle, la faire monter jusqu'à mes extrémités, l'amplifier comme un écho furieux frappant la paroi de la montagne.

Je me détourne, et ma main plonge sous le bureau, se referme sur le manche froid du marteau, ma poitrine me fait mal, mon bras est lourd, je ne veux pas, je ne pourrai pas, mais je ne peux pas reculer, je ne peux plus !

Et soudain, vient le calme. C'est là que je dois frapper.
Maintenant.
Mon membre armé se soulève, et, avec un cri terrible, je l'abats, je l'abats sur sa mémoire morte, écrasant, dispersant, désintégrant ses circuits maudits et ses microprocesseurs.




« La vengeance procède toujours de la faiblesse de l’âme qui n’est pas capable de supporter les injures »

La Rochefoucauld
[1] Sophocle Œdipe-Roi
[2] Bible, Livre des proverbes, 14, 15

Soleil

Lorsque la radio se mit en marche, le jingle agaçant du Soda-Bio tira Bill de son sommeil. Pour le principe, il vérifia à sa montre qu'il était bien six heures, puis il alluma la lumière pour réveiller Doris. Ce n'était vraiment pas le jour à se lever en retard. Dans sa garde-robe, il choisit une tenue décontractée, mais assez chaude puisque tout se passait à l’extérieur, puis il descendit à la cuisine et prépara ses toasts en écoutant les nouvelles. En fait, on aurait pu dire la nouvelle, puisqu'on ne parlait que de ça.
Les deux garçons s’étaient préparés seuls, sans qu’on ait besoin de s’occuper d’eux. On voyait bien qu’il ne s’agissait pas d’un jour d’école, pensa Bill. Dans le séjour, ils pianotaient sur le jeu électronique qu’on avait offert à Martin pour ses onze ans.
Sept heures déjà. Il était vraiment temps d’y aller.
- Doris, est ce que tu viens oui ou non ? , demanda t'il avec agacement en remontant à l'étage.
Quelle question. Comme si elle allait rater ça.
- Une seconde, Bill ! dit-elle. Je cherche mes clés !
Dehors, le soleil était à peine levé. Ils n'avaient pas l'habitude de sortir en famille à une heure aussi matinale, mais aujourd'hui ça en valait la peine. On était à trois semaines de Pâques et les bourgeons commençaient à éclore sur le cerisier du petit jardin. Et il ne restait que cinq ans avant d’avoir fini de rembourser la maison.
Bill inspira avec bonheur l’air chargé des odeurs de la terre et des fleurs et alla ouvrir le garage. Le moteur de la vieille voiture toussa plusieurs fois avant d’accepter de démarrer. Un jour ou l'autre, lui dit Doris, il faudrait faire changer la batterie et les amortisseurs. . Il répliqua avec humeur qu’il le savait parfaitement et qu’il s’en occuperait dès qu’il aurait reçu son augmentation.

Sur la route, il y avait déjà du monde, car beaucoup de gens avaient pris comme eux un jour de congé, et étaient partis tôt pour être sûrs d'avoir une bonne place. Il faut dire qu'on prévoyait une affluence record pour l' événement. Pendant le trajet, les enfants se battirent comme d’habitude sur le siège arrière, et il fallut les menacer de rentrer à la maison pour qu'ils se calment enfin.
Un gros nuage passa devant le soleil. Pourvu que le temps ne change pas, se dit Bill, ce serait dommage que le mauvais temps ne vienne gâcher le spectacle. Mais pourquoi se poser la question, alors que la radio confirmait tous les quarts d'heure qu’il allait faire une journée magnifique ? Le jour du départ avait d’ailleurs été fixé il y a seulement une semaine, en fonction des prévisions de la météo.
Ils avaient un peu hésité avant de venir, surtout Doris qui craignait que l’aîné ne soit absent pour le contrôle de mathématiques qui était prévu pour aujourd’hui. Mais celui ci avait demandé à son père de plaider sa cause : il avait bien travaillé depuis le début de l’année scolaire, et tous ses copains avaient prévu d’y aller avec leurs parents. Et puis, il se passait si peu de choses dans leur petite ville qu’on ne pouvait pas manquer une occasion pareille. Sans compter que ce serait la seule occasion qu’ils auraient de voir Manu de leurs yeux, et non plus sur l’écran de la télévision.
Devant de tels arguments , il aurait été bien difficile de refuser.

Il fallut attendre vingt minutes avant de pouvoir atteindre l'entrée de l'autoroute car un bouchon d’un kilomètre s’était formé. « Mais qu'est ce qu'ils foutent ces flics, dit Bill avec irritation, on va finir par être en retard, dire qu'on les paye justement pour que ça circule ! ». Il envisagea un bref instant de prendre la file d’urgence, mais ç’aurait été une mauvaise idée, car des véhicules de police étaient disposés tout au long du trajet. Puis sans raison apparente le flot redevint fluide, et Bill se détendit. Il n'y avait plus de raison de se faire du souci puisque le Centre, qui était habituellement fermé au public, n’était qu'à une cinquantaine de kilomètres de chez eux. Ils avaient de la chance d'habiter dans la même région et d’avoir pu se libérer aujourd’hui.

Ce fut l'aîné des garçons qui l'aperçut le premier, en montrant du doigt l’objet dont on voyait pointer l'extrémité juste au-dessus des arbres. A la sortie de la bretelle d’autoroute, des policiers en gants blancs leur indiquèrent le chemin. « Pour le service d'ordre, rectifia Bill, je retire ce que j'ai dit, c'est impeccable. »
Lorsqu’ils arrivèrent sur le site, on les dirigea rapidement vers un parking numéroté où des agents en tenue Soda-bio faisaient ranger les véhicules et encaissaient les trois dollars du stationnement. Ils descendirent de la voiture et fermèrent soigneusement les portes, avant d’emprunter à pied un itinéraire fléché qui conduisait directement au Centre. Au guichet d’accueil, Bill présenta l’invitation qu’il avait obtenu de son entreprise en récompense de ses résultats commerciaux, et ils purent entrer dans l’enceinte. On avait dressé sur la vaste pelouse des gradins en bois destinés aux deux mille personnes qui allaient assister au lancement.
Comme ils l’avaient espéré, ils étaient parmi les premiers, ce qui leur permit d’être correctement placés dans la tribune, presque au milieu, mais un peu trop bas car tous les rangs supérieurs étaient réservés pour les invités du gouverneur et les autres personnalités. Mais quand même, c'était très convenable.
En face d’eux, l’objet dressait sa haute silhouette.
De chaque coté des tribunes, deux écrans géants projetaient en continu les spots publicitaires du sponsor de l’événement, tandis que des filles plutôt jolies passaient dans les rangs pour vendre les canettes de Soda-Bio et les sachets de pop-corn, dans une sympathique ambiance de fête nationale. Bill sortait déjà son portefeuille , mais Doris refusa catégoriquement d’acheter des sucreries aux enfants. Elle était terrorisée à l’idée qu’ils pourraient devenir obèses comme les enfants de leurs proches voisins.
Il y avait bien longtemps que le Centre n'avait pas connu une telle affluence, et même les journalistes avaient oublié la route qu’il fallait emprunter pour parvenir jusqu’ici. Aujourd'hui, par contre, ils étaient venus en force, et les flashes crépitaient bien avant que tout n’ait commencé. La tribune officielle commençait à se remplir, car on attendait le gouverneur d'un instant à l'autre.
A son arrivée, celui ci eut droit à une ovation inhabituelle. Il serra des mains dans la foule, escorté de ses gardes du corps, et fit mine d’écarter les micros qui se tendaient devant lui.
- Je vous remercie de votre accueil, dit il avec un grand sourire, mais vous savez, ce n’est pas moi qui suis à l’origine de cette manifestation. Mais je suis content que vous soyez satisfait de l’organisation que nous avons mis en place, et je vous souhaite une excellente journée.
Puis il alla s’asseoir à la place qui lui était réservé , sous l’œil des caméras de télévision.
La réalité était un peu différente. Plusieurs commentateurs prétendaient que le gouverneur avait confié l’exclusivité du sponsoring à Soda-Bio en échange du financement d’une partie de sa campagne électorale. Réalité ou dénigrement, nul ne le savait. Mais après tout, c’était de bonne guerre. Même si c’était exact, ses adversaires auraient certainement fait la même chose s’ils en avaient eu l’occasion.
Pourtant, si on y réfléchissait bien, ça avait l'air banal. Un départ comme ça, il y en avait toutes les semaines, et de bien plus impressionnants, avec de gros porteurs qui décollaient en éructant des gerbes de flammes. Si l’on avait pas été au courant, on aurait trouvé que cette fusée de dimension modeste ressemblait à un gros pétard rouge coiffé d’un cône bleu, et n’avait rien de bien original. D’autant qu’elle n’emmenait en tout et pour tout que trois passagers. La semaine dernière, il en était parti vingt-deux en même temps pour un vol touristique, et on en avait pas fait un tel plat. Non, je rigole, pensa Bill, je sais bien que ce n'est pas pareil, mais enfin, la taille de l’engin était un peu décevante.
Une longue attente commença, et les spectateurs s’impatientaient. De guerre lasse, Doris acheta un paquet de pop-corn pour calmer le plus jeune qui jouait bruyamment avec son frère dans les allées des gradins.
Un frémissement dans la foule annonça leur arrivée, mais de longues minutes s'écoulèrent avant qu’on ne les aperçoive là bas, tout au bout de l'aire de lancement où un véhicule de service venait de les déposer.
- Doris, passe-moi les jumelles, s'il te plaît, dit Bill.
- Manu ! c’est Manu ! dit la foule d’une seule voix.
Il n'eut pas de peine à les reconnaître, car depuis huit jours, on ne voyait qu’eux aux infos de vingt heures. Le plus grand, un blond avec une barbe et des cheveux longs, c'était Manu, celui qui entraînait ses deux compagnons dans l'aventure. Il marchait devant eux, serré dans sa tenue brillante, avec son casque sous le bras. Les deux autres s’appelaient Pedro et Ramon. Ils étaient petits, avaient le teint beaucoup plus mat et semblaient intimidés par la foule qui leur faisait face.
- Papa, c’est qui Pedro ? demanda Martin à Bill. Celui de droite ou celui de gauche ?
Il était bien difficile de répondre, car on savait les deux hommes étaient frères jumeaux. A tout hasard, Bill désigna à son fils l’homme qui se trouvait à gauche de Manu.
- C’est lui. Ramon, c’est celui qui a un casque rouge.
A force d’en entendre parler, on avait fini par nommer ces hommes par leur prénom, comme les présentateurs de télé, et par les connaître comme s’ils faisaient partie de la famille. On savait par exemple que Manu avait eu une existence difficile, qu’il avait été abandonné par son père[1] mais que sa mère était une femme très agréable. Les foules l’adoraient car il parlait avec beaucoup d’aisance et était très cultivé, même si ce qu’il racontait n’était pas toujours très clair.
Arrivés devant la fusée, ils marquèrent un temps d'arrêt et se retournèrent. Quelqu'un tendit un cigare à Manu et le lui alluma. Il en tira posément plusieurs bouffées, car il savait que dès le début du compte à rebours, il n'aurait plus le droit de fumer. Quant à ses deux compagnons de voyage, ils regardaient devant eux d'un air presque absent, comme s’ils ne se sentaient pas concernés.
Les enfants tirèrent Bill par la manche pour prendre les jumelles, papa, s’il te plait, on veut voir aussi, papa, surtout Manu parce que c’est celui qu’on préfère.
Au pied de la passerelle, il y avait un petit groupe d’une douzaine de personnes qui les attendaient. Ils serrèrent des mains et en embrassèrent certains, sans doute des amis ou des parents qu’ils avaient personnellement invités. Les écrans cessèrent de débiter des publicités et on les vit enfin en gros plan, sous deux angles différents, aux cotés de Ralph Gordon, le journaliste vedette de CNN.
- Manu, dit-il en lui tendant le micro, est-ce que je peux vous demander vos impressions ?
L’homme le regarda avec un espèce de sourire en coin avant de répondre.
- Que voulez-vous que je vous dise au juste ?
- Eh bien, je ne sais pas, reprit le journaliste, vous pourriez raconter un peu comment vous avez vécu ces dernières heures, ou dire un petit au revoir aux millions de gens qui vous regardent devant leur télévision, et aussi à ceux qui se sont déplacés ici pour vous voir partir. Vous souhaitez peut être ajouter un petit mot à leur intention ?
- Vous savez, dit Manu, je crois que j’ai dit tout ce que j’avais à dire.
- Oui, insista le journaliste, mais pourrait-on savoir ce que vous pensez à cet instant, ce que vous éprouvez vous et vos camarades, juste avant ce départ historique ?
- Ce que je pense ? Ce n'est pas une bonne question. Je pense ce que tout homme penserait à ma place, voila tout, dit-il encore.
- Bien sûr, mais enfin, est ce que le fait d'être ici vous...
- Excusez-moi, dit Manu avec agacement, mais je crois que nous sommes attendus.
Il fit quand même un petit geste du bout des doigts à l'attention du public, qui était un peu déçu de cette déclaration lapidaire, si peu conforme aux habitudes de Manu , puis entra dans l'ascenseur, encadré par Pedro et Ramon.
Plus personne ne parlait parmi les spectateurs. A travers les portes vitrées, on les vit s'élever tous les trois jusqu'à l'étage supérieur de l’engin. En arrivant sur la plate-forme, ils prirent le temps de regarder autour d'eux, comme s'ils voulaient s’imprégner de la vision de cette radieuse matinée de printemps.
Puis ils pénétrèrent dans la fusée et le sas se referma sur eux.
A l'instant où ils disparaissaient à la vue des spectateurs, une puissante musique techno envahit les tribunes, tandis que le logo du Soda-bio tourbillonnait sur l'écran.
Tout se passa ensuite très rapidement.
Dans la minute qui suivit la fermeture des portes, les rétrofusées furent mises à feu, et dans un tonnerre de bruit et de fumée, le cône trembla sur sa base, puis s'éleva lentement vers le ciel.
Toute la famille fixa la fusée du regard jusqu'au moment où elle ne fut plus qu'un point brillant dans le ciel bleu.

Voila, c'était fait. La foule commença à refluer vers les parkings, tandis que sur l'écran géant, on ne voyait plus maintenant que la représentation stylisée d'une boule de feu, forme familière et but ultime de l'expédition.
Le Soleil. Simplement le Soleil.


Malgré l'extraordinaire vitesse de la fusée, le voyage vers l’étoile dura trois semaines, au cours desquels on ne nota aucun incident de vol. Tout se déroulait conformément aux prévisions.
Bill et Doris n’eurent pas à regretter d’avoir autorisé les enfants à assister au lancement, car Martin décrocha la semaine suivante la meilleure note de la classe en mathématiques. Tous les soirs, la famille se réunissait devant la télévision pour suivre la progression de l'expédition à la télévision. Mais bien que les voyageurs soient filmés en permanence par trois caméras, il ne se passait rien de bien intéressant à bord de la fusée.
On assistait à leur réveil, à leur repas, ou bien on apercevait leurs visages quelques instants, et c’était tout ce qu’il y avait à voir. L'intérêt suscité par l’expédition s’émoussa, car les journalistes n'avaient, eux non plus, rien de nouveau à raconter pour faire grimper l’audimat de leurs chaînes. Aux infos de vingt heures, on disait que c’était surtout Manu qui parlait à ses compagnons, mais on n’en savait pas plus, car le son n’était pas retransmis. Sans doute évoquait-il avec ses compagnons tout ce qu'il avait vécu avant ce voyage, et ce qui leur avait valu de partir ensemble.

La tension commença à monter seulement à la veille de Pâques, et les commentaires reprirent de plus belle. Les questions qui revenaient le plus souvent étaient toujours les mêmes : est-ce que c’était toujours prévu ? comment est-ce que cela allait se passer ? en combien de temps ?

A peine une heure avant que ça ne se produise, on annonça que les émissions provenant de la fusée devenaient extrêmement brouillées, générant un sifflement qui s'amplifiait. On distinguait de moins en moins nettement les trois hommes sur l'écran de télévision qui retransmettait l’émission en direct, mais on voyait quand même qu’ils étaient assis sur leurs sièges sans bouger, l'air plutôt calme.
Dans la salle de contrôle du Centre Spatial, Le compte à rebours commença, dans une atmosphère tendue. Lorsqu’on approcha de la fin, il y eut parmi les opérateurs assis devant leurs ordinateurs une soudaine agitation, qui atteignit un paroxysme dans les dix dernières secondes.
A ZERO, on vit les lumières des cadrans trembler puis s'éteindre brusquement, avant qu'un épais silence ne retombe sur la base.
La fusée venait de pénétrer dans le soleil et avait instantanément fondu, désintégrant les atomes de ses matériaux comme ceux de ses passagers, en une fraction de seconde.
Le responsable de l'opération composa sur l'écran le numéro du vol et l'heure exacte de l’impact, ajouta une courte mention et signa le document. Puis il quitta son poste, jeta ses lunettes sur la table et gagna à pas pesants la salle de presse où il fut mitraillé par les photographes qui se bousculaient.
- Je vous en prie, messieurs, je vous en prie, dit-il avec lassitude.
Il s'assit, fit craquer ses phalanges, regarda d’un air grave les caméras et les micros qui lui faisaient face, puis lut avec application le papier qu’il tenait dans ses mains.

- Monsieur le gouverneur, mesdames, messieurs, ce vendredi 6 avril, à 3 heures de l’après midi, les condamnés ont été exécutés conformément à la nouvelle législation .



« La mort ni le soleil ne se peuvent regarder longtemps en face » La Rochefoucault
[1] Voir « Casting » en fin du conte

Comme un rêve

- Ecoutez, monsieur, je ne suis pas aussi borné que vous avez l'air de le penser, et je sais faire la part des choses. Pour vous le prouver, je vous propose un arrangement à l'amiable : disons quarante cinq mille et nous en restons là. Pour solde de tout arriéré. Croyez-moi, cette proposition est très généreuse de la part de mon administration.
- En francs ? demanda son interlocuteur.
- Allons, ne dites pas de bêtises. En Euros, bien sur.
Derrière son bureau à trois pieds en bois de rose, Rabintra agita avec désapprobation ses mains potelées chargées de bijoux clinquants, et hocha négativement la tête.
- Vous plaisantez, je suppose, dit-il d'un ton faussement scandalisé. Je vous ai pourtant expliqué qu'il ne s'agit ni d'honoraires, ni de règlement, puisque je n’exerce pas d’activité rémunérée. Je n’accepte que des cadeaux de faible importance. Ce que vous appelez dans votre jargon des « dons manuels ».
Adrien considéra avec lassitude le visage barbu orné d'un turban mauve.
- Mais enfin, Monsieur… comment déjà ? …Rabintra, c’est ça ? ne vous moquez pas de moi : l’ appartement de cent trente mètres carrés à Paris, le bateau en Bretagne, les vacances aux Maldives, vous voudriez me faire croire que vous les financez grâce à des dons manuels ? Ne niez pas, j'ai toutes les factures. Vous souhaitez peut-être les voir ?
Un lourd silence s'installa entre eux, et l’on entendit plus que le ronronnement de la circulation qui leur parvenait à travers les doubles vitrages.
- Monsieur l'inspecteur, dit le mage d'une voix douce, les gens à qui j'ai rendu service seraient fâchés, très fâchés même si je refusais leurs remerciements. Est-ce ma faute s’ils sont aussi gentils avec moi lorsqu'ils ont été satisfaits de leurs voyages ?
J'en ai assez, pensa Adrien en balayant du regard l'appartement parisien encombré d’accessoires de bazar oriental et décoré de signes kabbalistiques. Dire qu'il y a au moins en France deux ou trois cent mille personnes qui vivent ainsi de la crédulité de leur prochain en leur promettant l'amour, le bonheur et la réussite en échange de leurs économies. « Maître Rabintra, mage de haute lignée hindoue », est-il écrit sur sa carte de visite. C’est ça. Comme si je ne savais pas que tu t’appelles en réalité Jean Louis Duval, né à Ville d’Avray en 1949 dans une famille de négociants en vins.
- Vos voyages ? Parce que vous organisez des voyages, maintenant ? Voila qui est nouveau !
D’un air las, le mage repoussa de la main la chouette empaillée qui regardait l’inspecteur de ses yeux de verre, posa les coudes sur le bureau et croisa les mains sous son menton.
- Vous comprenez, je l’espère, que c’est une façon de parler, dit-il en soupirant. Bien évidemment, ce ne sont pas des promenades touristiques à Bangkok. Ce sont des voyages... en quelque sorte virtuels. Des projections dans une autre réalité. Cela existe depuis la nuit des temps.
Adrien ouvrit des yeux étonnés et hocha la tête avec vigueur. Là, c’était trop.
- Ah oui ? Des voyages… comment dites-vous... virtuels ? J'espère que vos prestations virtuelles sont également à la hauteur des dons « manuels » que vous recevez. Dites moi, monsieur, vous me prenez pour quoi exactement ?
Rabintra, qui tripotait entre ses doigts une baguette décorée de motifs étranges, sembla chercher ses mots avant de répondre.
- Pour quelqu’un qui…, comment dirais je, qui ignore certaines choses, voilà tout, mais c’est bien normal. Vous ne pouvez pas connaître de ce que vous n’avez jamais eu la possibilité d’imaginer, et encore moins d’apprendre. Je ne vous en veux pas, je sais bien que vos études et votre culture ne vous ont pas préparé à certaines connaissances ..
- Ecoutez, dit l'inspecteur, au bord de la crise de nerfs, je n’ai pas été reçu troisième de ma promotion de l’Ecole nationale des Impôts pour écouter des sornettes de charlatan ! Et je ne suis pas venu pour écouter mon horoscope même virtuel ni me faire tirer les cartes, mais pour vous faire payer des impôts ! VOS IMPOTS, suis-je assez clair ?
Le mage se leva posément, fit le tour de son bureau et alla s'asseoir sur l'accoudoir du fauteuil de cuir de son visiteur.
- Calmez-vous, monsieur l’inspecteur. Je comprends votre réaction, dit Rabintra avec affabilité. Si je vous dois quelque chose, c’est certainement une explication, que je suis tout à fait disposé à vous donner.
- A la bonne heure, dit Adrien. Enfin une parole sensée.
- C'est très simple, vous allez voir. Accordez-moi simplement quelques minutes d'attention. Vous voulez bien ? dit il en joignant les mains dans un geste de prière. Je vous en prie.
L'inspecteur regarda sa montre et calcula le temps qu'il lui restait avant son prochain rendez-vous.
- Un quart d'heure, pas plus. Ensuite, vous signez votre redressement sans discuter. J’ai dit quarante cinq mille EUROS , d'accord ? Alors, allez y, mais dépêchez vous. C’est avec ces machins qui sont devant vous que vous comptez me convaincre ?
L’homme soupira avec résignation, se gratta la barbe, et rajusta la ceinture jaune qui serrait sa robe de chambre à motifs rouge et bleu alternés.
- Vous ne regretterez pas de m'avoir écouté. Je devine que vous pensez, dit-il en désignant d’un geste ample l’espace qui l’entourait, que tous ces objets ne servent à rien. Vous avez raison. Je n’ai jamais rien vu dans la boule de cristal qui est sur ce bureau, ni dans les tarots étalés devant vous. Pas plus que dans le marc de café ou les lignes de la main. Jamais. J’admets que ce sont des artifices de bateleur sans aucun intérêt, si c’est ce que vous voulez me faire dire. Tout ce que vous voyez dans cette pièce n’est là qu’à titre… décoratif. Pour l’ambiance, voyez-vous. Les gens adorent ce genre d’ambiance.
- Je suis très déçu, dit l’inspecteur avec un fin sourire, moi qui étais persuadé que vous étiez un véritable mage hindou. N’est-ce pas comme cela que vous vous présentez à vos… voyageurs, Sar …Duval, c’est ça ?
Rabintra protesta en agitant ses manches.
- Arrêtez, je vous en prie, je ne vais pas jouer à ce jeu là avec vous ! Et puis, je vais vous dire un secret, dit-il en se penchant vers l’inspecteur. Je ne fais pas de magie.
- A la bonne heure, dit Adrien. Me voilà rassuré.
- J’utilise seulement une méthode qui permet à l’esprit d'aller au-delà de l'apparence. Je propose à mes consultants une sorte de… comment dirais-je, de traversée du miroir, de mise en sommeil de la perception du réel. Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ?
Du fond de son fauteuil, l’inspecteur haussa les sourcils.
- A propos de sommeil, vous ne seriez pas en train d’essayer de m'endormir avec vos histoires?
- Tss, tsss . Mes histoires, comme vous dites, sont partagées par les peuples du monde entier depuis la nuit des temps. Avez vous lu Platon, monsieur l'inspecteur ?
Platon. Voyons. Adrien essaya de rassembler quelques souvenirs de sa classe de philosophie et de ses études de droit.
- Comme tout le monde. Le mythe de la caverne, le banquet, la république, tout ça ...
- Très bien. Mais connaissez-vous l'histoire d’ Er de Pamphylie ?
- Non, dit Adrien . Je n'en ai jamais entendu parler .
- Eh bien, Platon raconte[1] que ce héros de l'antiquité participait à une bataille lorsqu’ il fut blessé et perdit connaissance. Lorsqu'il se réveilla , il était debout au pied d'un bûcher sur lequel on s' apprêtait à brûler les corps de ses compagnons morts au combat. Mais en s'approchant de plus près, il reconnut parmi cet amoncellement de cadavres ses armes, son casque, puis son propre corps. Il le regarda intensément et vit qu' IL ETAIT MORT .
Rabintra interrogea son hôte du regard.
- Qu'aurait vous éprouvé à sa place, monsieur l'inspecteur ?
- Je ne sais pas. Disons que j'aurais pensé qu'il s'agissait d'une ressemblance, ou d'un frère jumeau, peut être. Ou que j’étais en plein délire.
- Eh bien, pas du tout ! reprit le mage en se rapprochant d’Adrien. C'était bien sa propre dépouille qu' Er de Pamphylie contemplait sans aucune émotion, avec une sorte d’indifférence. Puis après quelques instants, il eut l'impression qu'il s’éloignait de cette scène, et qu'il la contemplait maintenant d'en haut, comme s'il y était étranger. Cette sensation s’amplifia et il lui sembla qu’il s’élevait encore plus haut, carrément au-dessus du champ de bataille. Il vit les troupes qui défilaient, les prisonniers qu’on emmenait, tout le paysage avoisinant. Vous me suivez ?
- Si ça peut vous faire plaisir. Et après ?
- Après, il sentit qu'il était de nouveau attiré vers le sol, et il se retrouva dans son propre corps, blessé mais vivant, sur le bûcher où reposaient ses malheureux compagnons. Il fut sauvé et raconta son aventure, qui fut rapportée plus tard par notre philosophe. Belle histoire, n’est ce pas ?
L'inspecteur tenta de détourner les yeux du regard noir et pénétrant de Rabintra.
- Soit, mais quel rapport avec vos voyages ? demanda t’il en articulant difficilement.
- Eh bien, dit le mage sans le quitter des yeux, c'est la première relation d'une expérience de décorporation, de voyage hors du corps, si vous préférez. La littérature et les récits biographiques fourmillent de ce genre de récit. Vous retrouverez ça chez des auteurs contemporains, tels que Koestler, London, Maupassant, Genevoix, et bien d’autres. Même Jung, qu’on ne peut soupçonner d’être un rêveur, rapporte qu’une aventure analogue lui serait arrivée, et l’a appelée « expérience archétypique ». J’ai bien d’autres exemples si vous le souhaitez, mais je ne suis pas là pour vous faire un cours théorique ni pour faire étalage de ma culture, monsieur l’inspecteur.
- L'autre nuit, j'ai rêvé que j'étais que j'étais au sommet de l'Himalaya, ricana Adrien. Ce n'est pas pour cela que je me suis réveillé avec un piolet à la main et une bouteille d'oxygène autour du cou.
Rabintra hocha la tête avec consternation.
- Votre remarque n'a aucun sens, cher monsieur. Chacun de nous sait très bien faire la part du rêve et le distinguer de la réalité, mais d'innombrables témoignages attestent de la possibilité de voyager hors de son corps. Je vous l’assure.
- Ah oui, je sais, j'ai déjà lu ce genre de fadaises, de récits abracadabrants de …« Near death expérience », c’est bien comme ça qu’on dit ? Vous allez me raconter, si je me souviens bien, qu’on quitte son enveloppe charnelle et qu’on s’envole jusqu’à ce qu’on arrive à un tunnel au bout duquel un merveilleux Etre de lumière nous attend, entouré de nos chers défunts et d'angelots chantant des cantiques ! Je ne me trompe pas, n’est ce pas ?
Rabintra posa la main sur le bras d'Adrien et le regarda au fond des yeux.
- Ca n’a rien à voir, mais je comprends votre scepticisme, monsieur l'inspecteur. Votre éducation rationaliste ne vous a pas préparé à recevoir de tels messages ni à admettre ce qui dépasse le simple cadre de la réalité. La seule solution pour vous convaincre serait peut être de tenter un essai. Un petit voyage insignifiant. Seriez -vous d’accord ? Vous n'êtes pas obligé de me répondre. Faites-moi juste un signe si c’est oui, et cela me suffira.
Adrien jugea qu'il en avait assez entendu et se préparait à partir, lorsqu'il réalisa qu’il était incapable de bouger de son fauteuil. Dans le même temps, il sentit une sorte de fourmillement dans son bras droit. Puis il vit avec stupéfaction que sa main se levait par saccades, l'index pointé en l'air comme un écolier interrogé par son maître.
- Bien, dit Rabintra avec satisfaction. Très bien. Je savais que cette expérience allait vous intéresser. Nous allons donc passer à la pratique. Voudriez vous, s'il vous plait, quitter maintenant votre siège et aller jusqu'à la fenêtre ?
L'inspecteur se rendit compte qu'il n'avait pas la possibilité de refuser, ni même l'envie de le faire. Tant pis pour mon prochain rendez-vous, pensa t' il avec étonnement. Après tout, je peux bien me permettre cette petite fantaisie. L’important est que je reparte avec ce chèque.
- Levez vous maintenant, s’il vous plait ! ordonna Rabintra d’une voix autoritaire.
Adrien eut l’impression que son corps s’extrayait tout seul de son profond fauteuil, et qu'il se mettait debout sans effort. Obéissant au mage qui le regardait toujours fixement, il contourna le bureau et s'arrêta devant la baie vitrée.
- Je vois que tout se passe bien, dit Rabintra avec plus de douceur. Pourriez-vous maintenant ouvrir cette fenêtre ?
L'inspecteur s'exécuta docilement, et perçut, dix étages au-dessous de lui, le brouhaha des voitures qui circulaient dans la vaste avenue, tandis que l’air brûlant de l’été l’enveloppait.
Rabintra mit la main sur l’épaule d’Adrien et le regarda fixement.
- Et si maintenant quelqu'un vous demandait de sauter par-dessus la rambarde, le feriez-vous ?
Adrien pensa d’abord que la question devait être absurde, mais sans arriver à en déterminer la raison. Puis soudain, il réalisa avec horreur ce que lui suggérait le mage et eut un mouvement de recul.
- Non, bien sur, dit Rabintra avec apaisement en lui posant la main sur l’épaule, vous ne le feriez pas. Pourtant, cette chose qui vous semble mortellement dangereuse ne l’est pas dans l’expérience que je vous fais vivre, parce que vous n'êtes déjà plus dans la réalité. Je vais vous le prouver. Tenez , prenez ça !
Il saisit la grosse boule de cristal vert sombre qui ornait son bureau et la tendit à Adrien. Celui ci la soupesa et constata qu'elle était très lourde.
- Jetez la par la fenêtre, maintenant ! Allez-y sans crainte, je vous promets que personne ne sera blessé !
Adrien vit son bras se tendre en avant, propulsant la boule de verre vers l'extérieur. Elle décrivit une large courbe dans l’air, puis tomba à la verticale. Elle allait s'écraser sur une automobile lorsqu'elle parut s'immobiliser à quelques mètres du sol. Puis elle remonta lentement jusqu’à eux et revint se poser dans la main du mage.
- Vous voyez bien, insista le mage en souriant. A vous maintenant.
Comme l'inspecteur tentait désespérément d'échapper à son emprise, il le fixa encore une fois au fond des yeux, les bras croisés.
- Vous hésitez encore ? C'est normal, il s'agit de votre premier voyage. N’ayez pas peur, sautez !
Adrien restait figé au bord de la fenêtre, terrorisé et tendu par la volonté de résister aux injonctions du mage.
- Je vois, dit celui ci en soupirant, que décidément vous n’avez toujours pas confiance... Bon, dans ces conditions, je n’ai plus qu’à passer devant.
L'instant d'après, il enjambait le balcon, prenait la position du plongeur et sautait avec élégance, les bras légèrement écartés. Mais au lieu de tomber comme l'avait fait la boule de cristal, il parut flotter dans l' air comme un poisson dans un aquarium.
- Venez ! Ne craignez rien, dit-il d'une voix forte pour couvrir le bruit de la rue, il n'y a aucun danger !
Après tout, pourquoi pas ? pensa l'inspecteur. C'est complètement absurde, c'est donc un rêve. Rêvons !
Et il bascula à son tour dans le vide.

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Il eut la sensation de tomber lentement, d'une manière à la fois souple et continue, et il pensa que si la mort était ainsi, il n'y avait pas de quoi en avoir peur. Les six étages défilèrent l'un après l'autre, et il eut le temps de regarder le ciel et même de voir comment à quoi ressemblait l’intérieur des appartements.
Une main saisit son poignet et l'arrêta net.
- Doucement, inspecteur, dit Rabintra en riant. Il faut apprendre à voyager ! Détendez-vous, vous n'avez rien à craindre, je vous tiens. Levez juste un peu les bras. Voilà, comme ça.
Arrivé à la hauteur du premier étage, Adrien redressa la tête. A sa grande surprise, il constata qu'il s'était stabilisé, puis qu'ils étaient tous deux en train de remonter vers le sommet de l’immeuble en frôlant la façade.
- C'est bien, dit Rabintra, c'est très bien. Vous voyez comme c'est simple ?
Plus que simple. C'était merveilleux. Adrien sentait l’air sur son visage, sur ses vêtements, voyait les passants marcher dans la rue, comme si tout était réel et qu’il volait vraiment, comme dans les bandes dessinées de son enfance.
- Je vais vous lâcher la main, maintenant, reprit le mage. Si, si, n'ayez pas peur, ça ne risque rien.
Il détacha ses doigts l'un après l'autre du poignet d'Adrien, puis l'abandonna complètement.
- Et pour me diriger, je fais comment ? hurla l'inspecteur pour se faire entendre. Est-ce que je dois agiter les bras ?
- Non, non, ne faites rien ! Décidez simplement de votre direction et vous irez là où vous le voudrez !
Adrien fit quelques essais et vérifia que c'était exact. Le temps de penser qu'il volait un peu trop bas, et il reprit immédiatement de l’altitude. Après quelques minutes, il avait appris à se diriger dans l'espace par sa seule volonté.
- Je vous propose une petite promenade au dessus de Paris. D'accord ?
Le mage jeta un dernier regard à la fenêtre de l’immeuble qui était restée ouverte, vira vers la droite et, suivi par Adrien, il alla survoler en une gracieuse courbe le quartier Latin jusqu'à la place Saint Michel, avant de traverser la Seine. Ils remontèrent ensuite la rue de Rivoli jusqu'à la Concorde. L'inspecteur, qui regardait avec ravissement autour de lui au lieu de contrôler sa route, évita de justesse l'obélisque et chercha des yeux Rabintra. Celui ci avait pris les Champs Elysées en enfilade, et tirait droit sur l’Etoile, comme une escadrille de chasseurs un quatorze juillet. Les pans de sa robe de chambre claquaient dans le vent de la course et lui donnaient l'allure d'un dragon ailé.
- D'où vous vient ce don ? demanda Adrien lorsqu'il le rejoignit à la hauteur du Grand Palais.
- Je n'ai aucun don ! dit Rabintra en ouvrant les bras. N'importe qui peut faire cela à condition de le vouloir. Si, si, je vous assure, tout homme est capable d'échapper à son enveloppe physique sans perdre aucune de ses sensations. Croyez vous maintenant à ce que disait Platon ?
En arrivant à l'Arc de triomphe, le mage ralentit et l'invita à se poser sur la terrasse du monument, à quelques mètres d'un groupe de Japonais dont les appareils photos mitraillaient le paysage. A la stupéfaction d’Adrien, personne ne sembla s'apercevoir de leur arrivée. L'un des touristes s'approcha même du mage jusqu'à le toucher, et continua à filmer les avenues des Maréchaux sans tenir compte de sa présence.
- Voila un bon moyen de visiter les édifices publics sans payer, plaisanta Rabintra. Mais peut-être est-ce que je choque votre honnêteté de fonctionnaire ?
Adrien regardait la scène avec effarement et cherchait une explication.
- Ils ne nous voient pas, c'est ça ? demanda t’ il en désignant les touristes.
- Bien entendu, répondit Rabintra. Comment voudriez-vous qu’ils vous voient ? Je vous ai dit que nous n'étions pas dans la réalité.
- Mais alors, où sommes nous et que sommes-nous exactement ? Je sens pourtant bien que je suis assis sur cette corniche, que la pierre est chaude et que j'ai le vent dans les cheveux !
Rabintra fit la grimace.
- Je ne sais pas, moi, personne ne le sait. Nous sommes ce qu’on appelle dans notre jargon un corps astral, si vous voulez absolument une définition. Mais ça ne veut rien dire.
- Comment avez vous connu l’existence de cet... état ? Vous êtes sans doute un … heu …comment dit-on déjà, un Initié !
Rabintra, qui regardait d’un œil connaisseur une ravissante asiatique aux longues jambes nues, eut un petit rire.
- Moi, un initié ! Ah, ah, vous plaisantez. Ces expériences sont vieilles comme le monde, et n’importe qui peut en faire autant avec un peu d’entraînement. Vous savez, depuis l’origine des temps, les récits et les représentations sont peuplés d’anges et d’êtres volants. Les anciens Egyptiens croyaient déjà que tout individu était pourvu d’un second corps appelé ba, qui avait la forme d’un oiseau à visage humain, et qui abandonnait le corps au moment de la mort.
Très excité, Adrien assommait le mage de questions en gesticulant, au milieu de la foule des touristes, qui prenaient des photos au travers de son corps.
- Je vous en prie, cher monsieur, dit Rabintra, cessez de raisonner ou d’essayer de comprendre et profitez de votre voyage. Tenez, je vais m’éloigner, car ce japonais me souffle au visage la fumée de sa cigarette. A vrai dire, je ne supporte que les Havanes.
Il resserra la ceinture de sa robe de chambre, ajusta son turban et se tourna vers l’immense avenue encombrée d'automobiles qui brillaient sous le soleil de l'après midi.
- Et ceux là, dit Adrien en montrant du doigt les passants, qu'est ce qui me prouve qu'ils existent ? Qui est dans l’illusion, eux ou nous ? Ou les deux à la fois ?
- Je vous répète qu'il ne faut pas vous poser de questions, mais jouir de cet instant dont vous vous souviendrez éternellement. Continuons, voulez-vous ?
Il sauta du parapet et l’attendit à mi-hauteur du monument. En dessous de lui, le flot des passants circulait, parfaitement indifférent à leur présence.
Sans aucune appréhension cette fois ci, l’inspecteur sauta à son tour par-dessus les filets de la balustrade, et rejoignit Rabintra en battant des bras pour son seul plaisir.
- Peut être serait-il temps de rentrer. J'ai un rendez-vous dans le XV° à dix-huit heures avec un fraudeur important, un ancien ministre. Au fait, je dois aussi vous faire signer notre convention. Vous n'avez pas oublié, j'espère ?
Mais le mage ne semblait pas l'entendre. Il leva les mains au dessus de sa tête et amorça une montée très rapide. En quelques instants, ils atteignirent une altitude qui leur permettait de contempler toute la ville, lovée dans les méandres de la Seine, à travers la brume de pollution qui la recouvrait comme un voile. Adrien, qui voyageait souvent en avion, pensa que ça n'avait rien à voir avec la vision étriquée que l'on avait depuis un étroit hublot, qui ne dévoilait qu'une infime partie du paysage.
L'inspecteur était émerveillé de la précision de ce rêve, et éprouvait des sensations étonnamment familières. Il ne ressentait aucune gêne, alors qu’à cette l'altitude, il aurait dû souffrir du froid et du manque d'oxygène, et n’avait absolument pas peur de cette étrange situation. Il éprouvait même un sentiment de béatitude et de libération, et une soudaine indifférence aux problèmes qui le préoccupaient peu de temps auparavant. Que mon ministre continue à piller ses concitoyens, pensa t’il, après tout je m’en fous royalement, je m’occuperai de lui demain ou un autre jour.
Venu du fond de l'horizon, un troupeau d'oiseaux migrateurs croisa leur route et s'éloigna en poussant de petits cris stridents.
L'un derrière l'autre, les deux hommes poursuivaient leur ascension, les bras à peine écartés du corps, sans fournir aucun effort physique. Ils traversèrent ensuite une couche nuageuse, dans laquelle leur corps fut agité de soubresauts, avant de retrouver l'éclat aveuglant du soleil. Ce n'était plus, au-dessous d’eux, qu'une mer de nuages ininterrompue avec des trouées ouvrant sur des champs cultivés et de tranquilles villages.
Tandis qu'ils éloignaient de la région parisienne, obliquant droit vers le sud, l'inspecteur aperçut trois points qui se détachaient sur le ciel bleu, qui ne ressemblaient pas aux oiseaux qu’ils venaient de rencontrer. De formes plus grandes et plus massives. Le mage les désigna du doigt et vola avec agilité à leur rencontre.
- Un collègue ! dit-il avec un grand sourire.
Au fur et à mesure que la distance diminuait, l'inspecteur reconnut un couple de jeunes gens qui se tenaient par la main, précédé de quelques mètres par un autre individu plus âgé qui portait un imperméable et un chapeau mou. Il tenait par la poignée un gros cartable et semblait guider les deux autres personnes.
Parvenu à leur contact, celui ci serra chaleureusement la main du mage.
- Tiens ! Rabintra ! s’exclama t'il. On ne s’était pas vu depuis, si je ne me trompe, le dernier Congrès de Décorporation. Vous volez pour tourisme ou pour affaires ?
- Un peu les deux, mon cher Folon, précisa le mage. Monsieur est mon inspecteur des contributions, et il souhaitait en savoir plus sur mon activité. Alors, je l’ai emmené faire un petit tour. C'est bien normal, n'est ce pas ?
Son confrère prit un air gêné.
- Ne craignez rien, dit Rabintra en riant, il ne travaille pas sur votre secteur. Et quant à nous, il n’y a aucun problème, tout a été arrangé avant de partir.
Les deux jeunes gens s’embrassaient tendrement et bavardaient entre eux comme s’ils étaient seuls au monde.
- Un voyage de noces, dit le guide. Il sont adorables, n’est ce pas ? Bien , il faut que je vous laisse, ils ont pris un forfait à la journée et ils veulent en profiter. Venez dire bonjour, les enfants !
Les jeunes gens saluèrent Adrien et le mage avec gentillesse. Les deux groupes de voyageurs échangèrent leurs impressions pendant quelques minutes , puis le couple et son guide s’éloignèrent à vive allure, avant de disparaître dans les nuages.
- Nous pourrions peut-être rentrer avec eux , suggéra Adrien en les suivant des yeux.
- Surtout pas ! Vous n'avez pas encore vu le plus beau ! Suivez-moi ! dit Rabintra dans un grand mouvement de manches.
Et il continua à monter, entraînant son compagnon dans son sillage.
Après quelques minutes, Adrien regarda derrière lui et aperçut les contours du continent européen, puis l’immensité de l’océan. Ils grimpaient toujours, et on voyait l’horizon se courber jusqu’à dévoiler la forme du globe terrestre. L’inspecteur s’arrêta pour contempler l’Afrique et le désert saharien, d’une belle couleur dorée, bordée d’immenses forêts d’un vert profond.
- Attention ! dit brusquement Rabintra. Garez-vous à gauche !
Une masse brillamment éclairée par la lumière solaire fonçait sur eux. En s’écartant, Adrien reconnut la station spatiale internationale, qui gravitait en orbite depuis des mois, à son aspect caractéristique et aux paraboles télescopiques qui l'entouraient. Il s’en approcha et put même voir à l'intérieur un homme en combinaison grise assis devant un ordinateur. La Terre leur apparaissait toute entière en contrastes de bleu de vert et d’ocre, comme glacée par la lumière du soleil.
- C’est magnifique ! dit Adrien.
Le mage ne lui accorda qu’un bref instant pour admirer le paysage et poursuivit sa progression dans l'espace, de plus en plus rapidement, sans dévier d'une trajectoire rectiligne.
Ils atteignirent Mars en peu de temps, croisèrent Saturne et ses anneaux, une autre planète dont Adrien ignorait le nom, puis c’est le soleil lui même qui commença à s’éloigner. Le corps des deux hommes devenait progressivement plus transparent, puis ils semblèrent se fondre dans le vide.
La galaxie était maintenant bien visible, reconnaissable à sa forme lenticulaire et à ses longs bras spiralés projetés dans l’espace qui l’entourait, brillant des feux de ses milliards d’étoiles. Puis elle se confondit avec d’autres objets célestes.
Lorsque Adrien tendit les bras en avant, il ne vit même pas la trace de ses mains. Il lui sembla se dématérialiser, jusqu'à ce qu'il ait l'impression de ne plus exister que par le regard qu'il portait sur les astres et par le son de la voix du mage, qui lui parvenait clairement même dans ce vide absolu.
Ils évoluaient maintenant dans le monde désert de la nuit cosmique, sans autre repère que les constellations qui brillaient dans les ténèbres. De temps en temps, un météorite croisait leur route et s'éloignait d'eux à une folle vitesse.
- Extraordinaire, dit Adrien avec enthousiasme, après un temps qui lui parut infini. Vous savez, je m'excuse d'avoir douté de vous et de n’avoir pas cru à vos voyages virtuels. Je vais demander à mon administration si elle ne peut pas faire un effort pour votre... Rabintra, vous m'entendez ? Où êtes vous ? Rabintra !
Il perçut comme un écho très lointain la voix du mage.
- Je vous entends !
- Je disais que c'était un spectacle merveilleux ! Vous aviez raison, c'est un rêve incroyable que celui que vous me faites vivre !
Il entendit le rire de Rabintra qui résonnait en écho dans l'espace.
- Le rêve ? Ah ah ah ! Le rêve ! De quel rêve voulez vous parler, monsieur l'inspecteur ? Il n'y a pas de rêve !
Puis le rire à son tour cessa d'être perceptible et tout contact cessa avec le mage .
C’est à cet instant qu’ Adrien, regardant autour de lui les milliards de points lumineux indistincts les uns des autres, comprit que jamais, jamais il ne retrouverait le chemin de la Terre.



« J’étais hors du temps et de la matière, je sentis que je me séparais de mon corps, tout comme j’imagine que l’esprit se dégage de notre forme corporelle. Je flottais dans le cockpit , puis j’obliquais vers le haut, à l’extérieur de l’appareil, avant de prendre une forme qui ne ressemblait en rien à la forme humaine que j’avais laissée dans un avion volant à grande vitesse »
Charles Lindbergh , 1° vol transatlantique, 1927
[1] Platon, la république, livre X